Episode 2 : La conduite sous spi au largue dans la brise
I. La gestion des risées.
Cet épisode sera moins romanesque que le précédent car il doit débuter par un peu de théorie. Allons-y franchement : Le vent apparent reçu par un Vaurien est la somme du vent réel, et du vent vitesse (cela doit vous rappeler, pour ceux qui ont eu, vos cours de math sur les vecteurs). Pour un bateau qui navigue au largue cela donne le schéma suivant :
Voyons la dynamique de ce concept et analysons l’impact d’une risée :
Phase 1 : La risée arrive sur le bateau = le vent réel augmente = le vent apparent augmente et adonne. La conséquence de la phase 1 est une accélération du bateau
Phase 2 : Comme le bateau accélère, le vent vitesse augmente = le vent apparent refuse et diminue.
Revenons à la pratique : Le vent souffle toujours très fort et vous êtes au rappel, rappel modéré car vos abdos et vos cuisses se souviennent encore du dernier bord de près. Vous ne vous occupez pas trop du foc qui est mis au taquet moyennement bordé, mais vous tenez en main les écoutes de grand-voile et de spi que vous maintenez en permanence à la limite du faseillement. Alors que vous tentez tant bien que mal de faire le point sur la position de la prochaine bouée ou de vos concurrents, vous ressentez soudain une tension accrue dans les écoutes de grand-voile et de spi, la pression sur la barre augmente, et le bateau prend dangereusement quelques degrés de gîte ; c’est le signe qu’une risée est sur vous !
L’équipage réagit calmement mais instantanément : le barreur donne un vif coup de barre pour abattre de quelques degrés, et choque sa grand-voile. L’équipier maintient fermement son écoute de spi qui, sous l’action de la risée, s’allonge de quelques centimètres, et choque un peu. Tous deux tirent sur les sangles de rappel au maximum, s’allongent de tout leur possible nonobstant les douleurs abdominales, et l’équipier va même jusqu’à sortir un bras au-dessus de sa tête pour offrir un maximum de couple de rappel. Grâce à ces actions conjointes le Vaurien est resté bien à plat et profite d’une sérieuse accélération.
Précisons que plus la risée est forte, et plus le barreur devra abattre pour réussir à garder son bateau à plat, et plus l’équipage devra choquer grand-voile et spi. Soyons clair : le spi ne doit pas faseiller (cela rendrait le bateau très instable et lui ferait perdre dangereusement de la vitesse), il doit être choqué juste ce qu’il faut pour tenir compte de l’abattée du barreur. La grand-voile elle peut être choquée sans problème jusqu’au faseillement voire jusqu’à être en drapeau si besoin (ce n’est pas très agréable car sans appui dans la grand-voile la barre répond moins bien).
Dans l’accélération, et pour compenser l’augmentation du vent vitesse, le barreur comme l’équipier rebordent maintenant grand-voile et spi. L’équipier très vigilant sur le bord d’attaque de son spi a commencé à reborder celui-ci dès l’amorce d’un faseillement. Le barreur est très concentré sur sa barre pour garder le bateau parfaitement à plat (si ça gîte il abat, si ça contre-gîte il lofe) car le moindre degré de gîte se paye en vitesse, surtout sur les plans Herbulot à fond plat. Souriez et profitez de l’instant ! A ce stade vous devriez logiquement tutoyer votre record de vitesse à la voile!
A la fin de la risée l’équipier devra choquer un peu pour « faire respirer son spi », sans quoi le bateau paraîtra comme bridé, et le barreur le sentira à la barre. Si l’équipier tarde un peu le barreur le lui demandera, gentiment car d’expérience il est plus dur à l’équipier de sentir ce phénomène qu’au barreur.
Niveau communication vous serez simple et efficace, et l’on entendra guère d’autres mots sortir de la bouche du capitaine que : « Choque », « Borde », « Choque ». Et aussi « Choque tout ! » si le départ au tas pointe le bout de son nez.
II. Les figures de style
Le départ au tas, qu’est-ce que c’est ? Le bateau part au tas si le barreur n’abat pas assez dans la risée : alors le bateau gîte et ralentit et c’est le début d’une mécanique implacable : comme le bateau ralentit, le vent vitesse diminue, et en conséquence le vent apparent adonne et surtout augmente, accentuant encore la gîte. Avec la gîte la carène fait naturellement lofer le bateau ce qui accentue encore le phénomène. Le bateau se retrouve travers au vent, couché ou dessalé. Plusieurs causes ont pu empêcher le barreur d’abattre : un bateau qui naviguait déjà trop gîté, une vague mal négociée, un surplus de hale-bas rendant le bateau ardent, un safran et ses fixations trop souple, etc.
Le départ à l’abattée est l’autre figure de style pertinente et récolte souvent un dix sur dix lors des notations artistiques de soirées post-régate. C’est l’inverse du départ au tas ; le bateau abat de façon incontrôlée jusqu’à l’empannage sauvage et le dessalage à contre. Il est dû généralement à un effet de carène dû à une vague mal négociée, un équipage qui reste trop longtemps au rappel en fin de risée ce qui fait contre-gîter le bateau, ou à un manque de hale-bas rendant le bateau instable. Si le barreur sent son bateau contre-gîter il faut qu’il se prépare à devoir pousser la barre.
III. Monter ou Glisser
Suivant que le bord de largue soit plus ou moins pointu, suivant la tactique et la stratégie, vous serez amené à vouloir lofer (monter) ou abattre (glisser).
Pour lofer au maximum il n’y a pas de secrets : vous devrez tout donner au rappel et monter au vent autant que votre poids d’équipage vous le permettra. Pour éviter les départs au tas vous veillerez à ne pas dépasser les 5 à 10° de gîte (en vous souvenant que plus sa gîte, moins ça va vite). En sortie de risées border sèchement la grand-voile lui permet d’agir comme une « nageoire » dans l’air et fait re-lofer le bateau automatiquement ; c’est cependant à manier avec précaution !
Lorsqu’il y a tempête il est facile de
glisser. C’est plutôt par les temps de medium que l’on peut jouer à ça. Reprenons un peu la théorie : Nous avons vu qu’un bateau qui accélère reçoit un vent apparent qui diminue et surtout refuse. C’est-à-dire qu’une fois l’accélération prise le bateau peut avoir une trajectoire plus abattue qu’avant l’accélération tout en conservant le même angle de vent apparent. C’est nébuleux ? Simple : Lofez un peu pour accélérer et faire partir votre bateau au planning, et une fois l’accélération prise abattez doucement. Si le bateau menace de quitter le planning, re-lofez de temps en temps afin d’entretenir cet état.
IV. Les Vagues
Quand il y a du vent, il y a souvent des vagues ! Dun plan d’eau à l’autre, d’une situation météo à l’autre, les vagues sont rarement les même. Elles sont parfois dans l’axe du vent, parfois pas, elles peuvent venir de l’autre bout de l’Atlantique ou de l’autre extrémité du lac. Il faut naviguer pour se forger une expérience, mais vous serez vigilant aux effets de carène qui peuvent se créer. Mieux vaut abattre sur la descente de la vague en général … et re-lofer en arrivant dans le creux sous peine de planter l’étrave.
Si vous survivez au premier bord de largue dans la grosse baston, vous arriverez à l’équivalent nautique de l’Everest par la face nord :
l’Empannage ! A suivre dans le prochain épisode.